L’œstrus était invisible et la guerre des sexes inexistantes. Jusqu’à la découverte du lien de paternité: à travers la compétition intra et inter sexuelle et les comportements hypertéliques qu’elle a suscité. Elle entraîne une « révolution mentale » et une modification profonde des comportements humains.
De la forêt à la savane:
Longtemps auparavant, il y a quelques millions d’années, nous sommes passés d’un environnement arboricole à une savane peu arborée, donc un biotope dangereux pour une espèce de singes dénués de défenses naturelles et manquant de rapidité de déplacement. La cause de cet événement semble être un changement climatique ou un phénomène géologique, ou les deux. Dans cet écosystème dangereux pour eux, leur obsession est devenue, ‘manger sans être mangé’ car la concentration de nourriture a diminué, les obligeant à se déplacer fréquemment en terrain découvert. Ils ont dû évoluer vers une conduite évitant toute compétition pour survivre. Se retrouver, seul, face à un prédateur offrait plus de chance de finir en quantité de calories absorbées qu’en tarzan triomphant !
Plus chasseurs que chassés!
Les travaux du paléontologue sud- africain, Charles Brain, ont montré que les australopithèques étaient régulièrement les proies de léopards et qu’ils étaient plus chasseurs que chassés. La chasse induit l’existence au sein des communautés de relations d’entraides, c’est-à-dire le partage, la coopération et la solidarité, mais aussi de complémentarité entre les individus. Les comportements et les corps se sont modifiés pour s’adapter à cette évolution. Une de ces adaptations, qui paraît paradoxale, est une disponibilité permanente à la sexualité qui permet de cimenter les relations et, ainsi, de se protéger plus efficacement de l’exposition aux nouveaux risques de cet environnement. La compétition sexuelle devient un luxe trop dangereux pour la survie de cette espèce mal adaptée à son nouveau biotope. L’œstrus invisible, la fin de la période de rut et la sélection inconsciente des reproducteurs par les femelles humaines durant la période de fertilité, permettent d’entretenir une forme de sélection sexuelle sans compétition consciente et donc sans combats ou dissensions dont auraient pu profiter les prédateurs naturels de l’espèce. Il y a plusieurs milliers d’années, notre espèce est devenue très coopérative, notamment pour assurer sa sécurité alimentaire et pour sa sécurité tout court surtout que nos enfants sont particulièrement lents à devenir autonome et demandent une protection de plusieurs années.
José Braga: Des bébés néoténiques, lents à sortir de leur immaturité:
Les recherches récentes d’un paléoanthropologue français, José Braga, en Afrique du Sud dans la vallée de Kromdraai, montrent que l’apparition d’Homo, qui n’était pas encore Sapiens, date de plus de deux millions d’années et que les bébés homos, contrairement à Australopithèque et Paranthrope, deux espèces qui lui étaient contemporaines et qui ont disparu avaient déjà une croissance lente et donc un grand besoin de protection qui nécessite de la coopération.
En descendant de l’arbre, les femelles ont été confrontées à un dilemme, soit elles étaient croquées par un prédateur du fait de leur manque de vélocité, soit elles mourraient en couche du fait d’un bassin trop étroit pour évacuer un embryon qui avait pris la grosse tête. Au fil des mutations et de la sélection naturelle, l’évolution a fait naître un bébé immature. Je me rappelle qu’il y a également une forme de consensus sur le fait qu’une autre solution de compromis trouvée par l’évolution a été d’agrandir la sortie, pour le bébé, en accroissant la corpulence des femmes qui ont été , pour homo-sapiens, les moteurs de l’élévation en taille. Les hommes seraient donc restés petits sans la sélection sexuelle discrète des femmes alors qu’il n’existait pratiquement pas de dimorphisme de taille au paléolithique supérieur. Depuis,à partir du néolithique, les femmes ont diminué en taille et en corpulence, du fait, selon toute vraisemblance, de la compétition sexuelle. Des archéologues ont par exemple trouvé, à l’age de bronze,en Chine, des traces de restes de nourriture, démontrant qu’hommes et femmes ne partageaient pas la même alimentation.
L’œstrus invisible chez la femme et l’absence de guerre des sexes:
La femme semble cacher son ovulation:
Un article scientifique explique que jusqu’à présent, on pensait que l’œstrus ne concernait pas la femelle humaine. Contrairement à de nombreuses espèces où l’œstrus se manifeste avec la plus grande évidence par des changements physiologiques et comportementaux, la femme semble ‘cacher’ son ovulation et ne manifeste pas, sauf exception, de débordements érotiques visant à un accouplement rapide avec le premier mâle de passage. Dans leur article de synthèse, Steven W. Gangestad et Randy Thornhill de l’Université d’Albuquerque affirment que cette croyance est erronée : il existe bel et bien un œstrus chez la femelle humaine dans sa période péri-ovulatoire.
Changement durant la période péri-ovulatiore:
Ils ont rassemblé les conclusions de plusieurs travaux sur les modifications des préférences sexuelles des femmes au cours de leur cycle qui montrent des variations significatives : par exemple, les femmes sont plus sensibles aux effluves d’androstérone et de testostérone, aux traits masculins associés avec un haut niveau de ces hormones, au comportement dominant, aux voix, aux visages et aux corps jugés les plus masculins, et à pas mal d’autres critères. A ces variations inconscientes de préférence en faveur des mâles supposés avoir de bonnes qualités de robustesse s’ajoutent diverses variations cognitives et comportementales : les femmes ont par exemple en moyenne plus de fantasmes en phase péri-ovulatoire et leurs fantasmes sont alors plus souvent orientés vers un autre homme que leur partenaire officiel. Même si leur visage, leur poitrine, leurs fesses ou leur vulve ne rougit pas comme chez certaines de leurs cousines primates, les femmes connaissent tout de même des chaleurs.
L’attrait des femelles grandit lorsque approche l’ovulation:
- Thierry Lodé affirme aussi que même invisible chez les femmes, la plupart des femelles de primates, Homo sapiens compris, exhalent une phéromone indicible, comme la copuline, qui stimule le désir des mâles. L’attrait de ces femelles grandit au fur et à mesure que leur condition approche de l’ovulation, et, chez la plupart des animaux, les femelles n’attendent pas les incitations du mâle, elles invitent au sexe dans un ensemble d’attitudes dites de proceptivité. L’expression du désir envenime les relations et encourage le conflit entre les sexes. Les femelles aussi, connaissent la fièvre des rivales et entrent en compétition entre elles pour l’obtention d’accouplement. Néanmoins, chez les femelles, la manière s’avère souvent différente des pugilats violents que les mâles déclenchent, bien qu’en pavoisant, le mâle apaise la femelle de sa parade sexuelle aguichante et exige que les autres rivaux gardent leur distance. Le signal à cette double fonction contradictoire intrasexuelle et intersexuelle, ambiguïté de l’intimidation et de la séduction.
- Pour la zoologue Lucy Cooke, les femelles peuvent s’avérer le sexe agressif, surtout en période d’ovulation. Comme ces matriarches suricates qui tuent les bébés de leurs rivales. Dans le monde animal, les femelles peuvent se révéler tout aussi volages, compétitives, dominantes que les mâles mettant ainsi fin à l’image de passivité du sexe féminin au niveau de la sexualité. Elles peuvent être le sexe à l’initiative, comme ces lionnes s’accouplant jusqu’à une centaine de fois par jour avec plusieurs mâles, durant les chaleurs.
- Thierry Lode évoque également le sujet de l’évolution vers une imprévisibilité de la réceptivité sexuelle, notamment en dissimulant la période sensible d’ovulation sous un œstrus silencieux qui révèle l’importance du rôle des femelles. L’organisation de cette confusion de paternité, du fait de la discrétion de l’intervalle de fertilité, astreint les partenaires à répéter souvent l’acte sexuel. En favorisant l’action de reproduction, l’orgasme aussi bien masculin que féminin, possède d’abord une fonction d’incitation immédiate au sexe qui, accroissant le désir de son renouvellement, augmente la probabilité d’obtenir une descendance.
Nancy Huston: ovulation discrète mais sélection sexuelle.
- Dans son livre « Reflets dans un œil d’homme » , l’écrivaine Nancy Huston cite des expériences émanant de chercheurs américains qui ont demandé à des femmes de humer des T-shirts portés par une dizaine d’hommes en leur demandant leurs préférences. De manière statistiquement significative, elles ont choisi le T-shirt porté par le garçon dont les anticorps étaient différents des leurs, c’est-à-dire les plus protecteurs contre les maladies potentielles.
- De même pour une expérience à partir de visages masculins des plus typiquement masculins aux plus féminins:hors ovulation elles préféraient un visage plus doux tandis que durant la période ovulatoire elle préférait « le macho ».
Sélection sexuelle : mécanisme instinctuel discret et œstrus invisible.
Il s’agit d’un mécanisme de sélection sexuelle qui existait avant la découverte du lien de paternité, même s’il était inconscient, instinctuel. Il fonctionnait donc sans inconvénients majeurs, ce qui n’est plus le cas quand il devient conscient ! A cette époque, au quotidien, il était préférable de côtoyer des êtres doux et attentifs à l’élevage des enfants mais cela n’empêchait pas les femelles humaines, au moment de la période ovulatoire, d’échanger sexuellement avec des mâles paraissant plus vigoureux. Comme la sexualité était beaucoup plus libre et les échanges sexuels nombreux, personne ne le remarquait. Jusqu’alors, la lente évolution « Darwinienne » était arrivée, à travers l’érotisation permanente des corps de la femme ou de l’homme, ainsi que de la dissimulation de l’ovulation et l’absence de période de rut, à inventer des relations humaines harmonieuses et stables.
Le lien de paternité devient conscient et envenime les relations:
La découverte de la paternité a renversé ce bel édifice, patiemment construit par l’interaction et l’intégration de l’humain à son milieu. Le besoin de domination et de reconnaissance exacerbé, d’une communication distanciée par nécessité de cacher ses véritables sentiments, particulièrement ses désirs aux adversaires et partenaires potentiels, a déstabilisé durablement ces relations. Elle a entraîné une rupture entre notre sociologie et notre psychologie individuelle du fait de la guerre des sexes engendrée . Cet état de fait génère un mal être et une course en avant qui conduit, avec la puissance toujours augmentée par la science et les techniques à un avenir de plus en plus incertain pour notre humanité. Nous avons toujours, sur notre planète, les moyens de nos besoins, d’ailleurs bien mal pris en compte et très mal répartis, mais plus ceux de nos désirs. Ces relations de compétition et donc de tentative d’abaisser l’autre relève d’un héritage culturel inconscient. Il détermine nos comportements et les transmet de génération en génération.
Le cerveau recycle certaines compétences cognitives:
De l’empathie pour tous à l’empathie choisie:
Comme pour l’adaptation de certaines aires du cerveau à l’écriture, nous nous sommes adaptés à la compétition en nous servant de ce qui était déjà utilisé à autre chose. Ici, il s’agit, sans doute, de ce qui nous servait à nous défendre et à chasser les animaux dangereux. Avant la compétition sexuelle, l’empathie était étendue à l’ensemble des contemporains, car l’autre humain n’était pas considéré comme un potentiel adversaire. Cela explique aujourd’hui notre empathie limitée à certaines personnes et notre plaisir à voir souffrir d’autres personnes que nous ne considérons pas comme nos semblables, mais comme de potentiels concurrents (observé par l’imagerie cérébrale) et qui est devenue une empathie sélective .
L’empathie: un mauvais guide moral pour Paul Bloom:
Pour Paul Bloom, Professeur de psychologie à l’Université de Yale, l’empathie est un mauvais guide pour agir moralement. Elle serait nécessairement biaisée en faveur de nos semblables ou de ceux qui nous ressemblent, aveugle à l’équité et insensible à la misère du plus grand nombre. Le fait de se mettre à la place de celui ou celle dont on perçoit la souffrance entraine le fait que l’émotion l’emporte sur la raison. L’empathie peut ainsi servir à la manipulation en nous focalisant sur une émotion, soit positive, provoquant ainsi de une compassion pour le sujet visé, soit négative, provoquant, au contraire, de la colère ou de la haine pour le sujet visé.
Sélection sexuelle chez les autres singes pour Franz de Waal:
Dans un de ses livres « Le Singe En Nous », Franz de Waal examine les ressemblances fascinantes et inquiétantes qui existent entre le comportement des primates et le nôtre. Il compare un personnage d’aspect bourru, ambitieux, obligé de composer avec son tempérament soupe au lait : le chimpanzé avide de pouvoir, brutal et l’autre, un égalitariste au tempérament hédoniste : le bonobo pacifique et érotique. L’un résout les questions de sexe par le pouvoir, l’autre les questions de pouvoir par le sexe. Nous « étions » des bonobos et, en nous découvrant procréateur, nous « sommes devenus » des chimpanzés ! Pour le primatologue, les bonobos sont dénués de honte, de pudeur, d’inhibitions autres que le souci d’éviter un conflit avec des rivaux. Les chimpanzés femelles présentent des tumescences, moins de 5% de leur vie adulte tandis que pour les bonobos ces périodes avoisinent les 50% et la sexualité affirme ses droits tout au long du cycle. Franz De Waal se pose la question de l’utilité de ses ballons grotesques lorsqu’ils ne signalent pas une période de fertilité. Il explique que, contrairement à beaucoup d’espèces de primates, aucun infanticide n’a été remarqué chez cette espèce car en acceptant les avances de plusieurs mâles, aucun de ses partenaires ne peut éliminer l’éventualité que le petit soit le sien. Les biologistes ont même remarqué que l’activité sexuelle provoquait un pic d’ocytocine dans le cerveau des mâles ce qui pourrait expliquer pourquoi les sociétés humaines dans lesquelles les manifestations physiques d’affection sont courantes et la tolérance sexuelle élevée, sont en général moins violentes que les autres.
Confusion de paternité organisée et œstrus invisible:
Les biologistes de l’évolution ont également noté deux traits communs entre les femmes et les bonobos : leur ovulation échappe au regard et elles maintiennent une activité sexuelle pendant toute la durée de leur cycle. Pour Franz De Waal, lorsque les femmes commencèrent à allonger leur période de réceptivité sexuelle, surpassant même celle du bonobo, elles n’eurent pas besoin de prolonger une quelconque phase de tumescence. Plutôt que de recourir à une publicité mensongère, leur méthode consista à se passer de tout battage.
Cette invisibilité de la période propice à assurer une descendance ( l’œstrus invisible) obligeait les hommes à être attentionnés en permanence, à coopérer avec les autres hommes pour assurer la sécurité, à s’occuper de l’ensemble des petits qui pouvaient être les leurs et qui ne devenaient autonomes qu’au bout de plusieurs années. Et elles évitent l’inconvénient d’une tumescence encombrante contrairement à leurs cousines victimes du fameux signal coûteux (photo du début de l’article) !
Instinct de procréation: matrice de tous les instincts:
S’agissant de l’instinct de procréation et de protection de la progéniture chez les femelles, il conditionne les autres instincts sociaux car il en est la matrice. C’est sans doute le plus vieux et le mieux ancré des instincts car il s’agit de préserver la survie de l’espèce qui supplante, logiquement, la survie des individus de cette espèce.
Cette sélection sexuelle discrète a donc permis, sans inconvénients majeurs, la survie de notre espèce lorsqu’elle s’est retrouvée en état de fragilité . Aujourd’hui, de notre fait, nous nous retrouvons à nouveau en état de fragilité climatique et devons donc revenir à ce qui a été notre force durant des centaines de milliers d’années : nos complémentarités et coopérations et l’abandon, ou à tout le moins, une diminution drastique de la compétition, qui devra être réservée aux enjeux sportifs.
Découvrez le péché originel éclairé par darwin
Une découverte a bouleversé la société. La faute en est toujours imputée à Eve. Pourtant, le seul coupable est l’évolution! Quel est donc ce bouleversement et quels en sont les ressorts?